
Agence Murder – Comment êtes-vous entré dans le milieu très intrigant de la murder party ?
Rémi Samson – J’étais déjà comédien depuis quelques années, lorsque j’ai été sollicité pour participer à des évènements destinés à des collectivités et des entreprises. J’ai ainsi découvert le vaste univers de l’événementiel et on m’a rapidement proposé d’animer des débats, des séminaires, des soirées cabaret, puis plus précisément des jeux comme des quiz, des olympiades, et enfin des murder parties. Je dois bien admettre qu’avant d’être appelé pour mener ce type d’enquêtes, j’en ignorais jusqu’à l’existence. Je me suis interrogé sur l’intérêt d’un jeu de rôles pour encourager la motivation d’une équipe de collaborateurs. Je n’en percevais que la part ludique, et non les avantages pédagogiques. Mon appréhension a vite été dissipée lorsque j’ai vu concrètement le bénéfice que pouvaient en tirer les clients : pour peu que l’histoire soit bien écrite, les enquêteurs se prennent vite au jeu, et peuvent rapidement se rassembler dans une stimulation collective. J’ai retrouvé dans la murder party un univers qui m’a immédiatement paru familier, celui des grands classiques du cinéma policier français et américain des années d’après guerre qui ont accompagné toute mon enfance et ma jeunesse. La particularité cependant de cet exercice est qu’une même histoire doit être écrite et racontée sous différents angles, avec un langage propre à chacun de ses protagonistes. En cela, on retrouve le principe littéraire employé par Agatha Christie dans certains de ses romans, où une même situation est racontée au lecteur par différents témoins. C’est à la fois une contrainte de style et d’écriture, mais aussi une richesse pour le jeu, puisque les rôles joués par les membres du personnel de l’entreprise doivent être investis et assumés par eux. Il est donc nécessaire dans l’écriture de donner aux joueurs la nourriture qui leur permettra de tenir au mieux leurs personnages : un langage, des expressions, mais aussi une vérité qui est propre à leur rôle et qui n’est pas nécessairement celle des autres suspects.
A. M. – Le suspects sont joués par des membres du personnel ?
R. S. – Oui. A l’origine, les murder parties étaient des représentations hybride, mêlant théâtre, improvisation et jeu de société. A la fin du du XIX° siècle, des comédiens jouaient les témoins et suspects d’un crime pour une clientèle aisée qui menait l’enquête. L’avantage de cette forme d’animation est incontestablement son impact spectaculaire : si les acteurs son bons, le divertissement est assuré. Mais dans le cadre d’une animation de team building, le danger est de garder le personnel d’une entreprise totalement passif, spectateur d’une animation certes divertissante, mais sans apport qualitatif pour la cohésion d’un groupe. Cela reste finalement une représentation théâtrale sans vertu de stimulation, telle qu’on la recherche dans les méthodes incentive. En jouant eux-mêmes les suspects, les membres du personnel s’accordent certaines libertés, et leurs collègues prennent plaisir à les découvrir dans cet exercice. Ils s’adressent à eux avec un nouveau langage. Derrière le rôle du suspect, mais aussi derrière celui d’enquêteur, les uns et les autres se permettent une relation, une approche, qu’ils n’auraient jamais eu autrement, dans les relations courtoises de travail dictées par l’habitude.
A. M. – Les joueurs se glissent-ils facilement dans la peau de leurs personnages ?
R. S. – Il ne faut en aucun cas brusquer un joueur. Je n’aime pas beaucoup l’expression courante qui consiste à dire qu’un acteur se glisserait dans la peau d’un personnage. Au théâtre, il me semble qu’un bon interprète révèle dans un rôle complexe une partie de lui-même, et va chercher sa nourriture de jeu dans ses propres expériences de vie, y compris les plus sombres. Dans le cas d’une murder party, un joueur – qui rappelons-le n’est pas un comédien professionnel – accepte de jouer le temps d’une enquête le rôle d’un suspect ou celui d’un enquêteur. Pour les suspects, les rôles doivent être suffisamment distincts, précis, presque stéréotypés. Ils doivent pouvoir facilement être identifiables pour que les participants puissent s’amuser à les jouer, y prendre du plaisir pour donner la version des événements de leurs personnages. Les enquêteurs quant à eux endossent l’imperméable du détective, un rôle sans doute plus simple à tenir, d’autant qu’ils travaillent en équipe contrairement aux suspects. J’ai pu constater un détail amusant et récurrent qui confirme bien l’investissement des enquêteurs dans la partie : dès la première question des interrogatoires, les détectives vouvoient presque toujours leurs collègues devenus suspects, alors qu’ils les tutoient en temps ordinaire. Dans cet espace de jeu, des collègues d’une même entreprise s’octroient un temps de liberté, où derrière un masque les uns et les autres peuvent lâcher prise, et créer par le jeu des liens qu’ils ne créeraient pas dans le cadre du travail.
A. M. – Le scénario est donc écrit à l’avance ? Vous arrive-t-il de devoir répondre à certaines demandes particulières ?
R. S. – Ce type d’animation exige une très grande souplesse. Comme au théâtre, où chaque soir un public différent assiste à une représentation différente d’un même spectacle, chaque client est unique, avec une problématique qui lui est propre. Chaque commande demande à l’équipe d’animation une grande ouverture et des facilités d’adaptation. Il est impératif de savoir prendre la température d’un groupe, et cela se fait dès les premières minutes, lors de l’exposition de l’énigme. Il faut être en capacité d’apprécier l’énergie d’un groupe, et lorsqu’on isole les suspects pour les briefer, d’appréhender la réceptivité de chacun. On n’écrit pas un scénario en quinze jours, encore moins celui d’une murder party, qui exige un travail extrêmement minutieux dans l’élaboration du parcours et du récit de chaque protagoniste. J’ai commencé à écrire des murder parties quand j’ai réalisé combien la demande en thèmes différents et variés était forte. Le scénario classique est celui ayant pour thème un univers rétro, inspiré par la littérature britannique mettant en scène les célèbres détectives que sont Hercule Poirot, Miss Marple, Sherlock Holmes… Mais il existe – et en particulier chez les joueurs les plus jeunes – une demande d’univers plus contemporains. J’ai donc imaginé des histoires qui sortiraient de ce répertoire que certains peuvent aujourd’hui juger désuet, en imaginant des contextes extrêmement différents. Et force est de constater que les thèmes ne manquent pas. Il m’apparaît cependant une règle essentielle : les participants doivent tous reconnaître l’univers proposé, et facilement s’y sentir à l’aise. Je m’explique. Qu’il apprécie ou non son climat, chaque participant doit en connaître les codes. Il n’a pas de temps à accorder à une quelconque adaptation au contexte de l’histoire et doit immédiatement reconnaître l’univers dans lequel on le plonge. Ainsi, un univers proche de celui d’Agatha Christie, qu’on l’apprécie ou non, qu’on le trouve poussiéreux ou non, fait partie d’une culture commune, et chacun à tout âge peut facilement y entrer. Pour l’histoire en elle-même, la complexité de l’écriture est d’établir une intrigue solide et complexe, avec 6 ou 7 protagonistes potentiellement suspects dans un espace relativement clos. La difficulté réside non pas dans l’élaboration de l’intrigue mais bien dans l’interpénétration des récits, chaque suspect racontant avec son propre vocabulaire et sous un angle qui lui appartient ce qu’il a vu, entendu et ressenti. C’est la raison pour laquelle il est très difficile de répondre à une commande spécifique de thème, l’écriture d’une histoire demandant un long travail de conception préparatoire.
A. M. – Quels sont vos projets ?
R. S. – Je prépare actuellement deux nouvelles enquêtes qui devraient être prêtes à jouer courant 2022. Elles se situent dans des milieux très différents. La première est rétro, et donc assez classique. La seconde, totalement contemporaine, et inédite, aura pour particularité d’être une énigme… sans cadavre ! L’enjeu ne sera pas de découvrir un assassin. Mais nous en reparlerons…
A. M. – Rendez-vous est pris. Merci.